Je vous propose un petit compte de Heinrich Zimmer. Il raconte cette histoire dans l’introduction de son livre La philosophie de l’Inde (The Philosophy of lndia), et appelle le rugissement du jeune tigre le «rugissement de l’éveil».
« II était une fois une tigresse qui allait mettre bas…
Un jour où elle chassait, elle découvrit un troupeau de chèvres. Malgré son état, elle réussit à en tuer une. Toutefois, le stress d’avoir chassé précipita le travail et elle mourut en donnant naissance à un petit mâle. Les chèvres, qui s’étaient enfuies revinrent lorsqu’elles sentirent que le danger était passé. S’approchant de la tigresse morte, elles trouvèrent son bébé et l’adoptèrent, l’intégrant à leur troupeau.
Le petit tigre grandit parmi les chèvres, persuadé d’en être une lui aussi. Il bêlait de son mieux, avait l’odeur d’une chèvre et ne mangeait que des végétaux ; tout son comportement était celui d’une chèvre. Pourtant, tout au fond de lui, comme nous le savons, battait le cœur d’un tigre. Tout se passa bien jusqu’au jour où un tigre plus âgé vint à s’en prendre au troupeau et tua l’une des chèvres. Les autres s’enfuirent dès qu’elles virent ce tigre, mais notre tigre/chèvre ne vit aucune raison d’en faire autant, bien sûr, car il ne percevait aucun danger.
Bien que vétéran de nombreuses chasses, le vieux tigre n’avait jamais été aussi choqué de toute sa vie que face à cet animal. Il ne savait que faire de ce tigre adulte qui avait une odeur de chèvre, bêlait comme une chèvre et agissait en tout comme une chèvre. Étant un vieux grognon, pas particulièrement altruiste, il prit le jeune tigre par la peau du cou, le tira jusqu’à une crique proche et lui montra son reflet dans l’eau.
Mais le jeune tigre n’eut pas de réaction devant son reflet ; il n’avait aucune signification pour lui et il ne remarqua pas la similitude avec le vieux tigre. Frustré par son incompréhension, le vieux tigre le ramena à la place où il avait tué sa proie. Puis il arracha un morceau de viande de la chèvre morte et le fourra dans la gueule de notre jeune ami.
Nous pouvons imaginer le choc et la consternation du jeune tigre. D’abord il s’étouffa et essaya de cracher la viande crue, mais le vieux tigre était déterminé à montrer au jeune qui il était vraiment et il voulait s’assurer que ce petit mange sa nouvelle nourriture. Quand il fut certain qu’il avait avalé, il lui mit un autre morceau de viande dans la gueule et cette fois, un changement se produisit.
Notre jeune tigre se permit de goûter la chair crue et le sang chaud et il mangea avec plaisir. Lorsqu’il eut fini de mâcher, il s’étira puis, pour la première fois de sa jeune vie, émit un puissant rugissement — le rugissement du chat de la jungle. Puis les deux tigres disparurent ensemble dans la forêt. »
La lecture de cette comptine nous interpelle-t-elle ? Avons-nous revêtu une identité qui exprime mal ou inadéquatement notre être essentiel ? Et si soudain, au sortir d’un rêve, nous réalisions que notre réalité était totalement différente et tellement plus belle ?
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